Samedi 27 février
Ça y est, nous y sommes. Tout le long du chemin je n’arrêtais pas de dire à Alexis à quel point il me tardait d’arriver à l’hôtel pour en faire la découverte, c’est chose faite. Le soir tombe, la façade s’allume. Je m’éloigne de cette dernière et grimpe sur le trottoir d’en face. Mes yeux se baladent au gré des fenêtres qui s’allument, qui s’illuminent. Le concept de l’hôtel ne m’est pas étranger et je veux garder encore quelque temps le suspens, mais sachez qu’il est question de mise en scène. Celle-ci commence dès l’extérieur, la façade semble devenir une mosaïque d’ambiances et de couleurs rompant quelque peu la barrière entre extérieur et intérieur. Nous sommes invités, nous qui sommes dehors, à rentrer au sein de cet hôtel sans même avoir à passer la porte.
Alexis me tire de mon air contemplatif, il attrape ma valise et me guide vers l’entrée. C’est incroyable comme la moindre chose dans cet objet architectural participe à la création d’ambiance : les larges baies vitrées qui donnent à voir le hall laissent poindre une lumière aux tons chauds contrastant largement avec les tons du haut tube métallique et de sa lumière froide qui rythment la séquence d’entrée.
L’ambiance est sombre mais très luxueuse cependant. Face à nous, un couloir. Sur notre droite un grand mur illustré et lumineux éclair le comptoir métallique dans lequel se reflètent les imposants fauteuils en cuirs disposés face à lui. Je m’adresse à l’hôtesse d’accueil, en anglais, nous réalisons l’enregistrement et elle me transmet la carte qui permet d’ouvrir notre porte de chambre pour les 3 prochains jours :
la Twin Corner Junior Suite.
Nous montons au premier étage, et arrivons face à la porte 5603. Je m’empare de la carte magnétique et déverrouille la porte. Je rentre la première et me précipite à l’intérieur de la chambre. Tout y est noir et sombre, seul contrastent les draps blancs des lits ainsi que les touches métalliques et brillantes du mobilier çà et là. Tout est propre et immaculé. Alexis pose les valises dans le vestibule et je m’assois sur le lit. Mon regard court sur le plafond, face à moi l’image d’un dos féminin dénudé sur lequel une main qui me semble masculine, y écrit au pinceau, des caractères Japonais.
Ce film, du plasticien Peter Greenway, se place comme une sorte de
« poème orientaliste entièrement dédié à l’art de la calligraphie … sur corps humain! ». On y suit le parcours d’une jeune femme qui veut faire de son corps un véritable livre ouvert pour son amant. Le cinéaste manipule habilement image et trame pour nous livrer une oeuvre novatrice et évocatrice ou l’envoutement et l’exotisme règnent en maître. Il réalise, avec ce film, un questionnement et une étude poussée sur le corps, sur son action médiatrice entre les êtres humains, mais également entre les signes et leur transmission.
Le corps, vu comme un lieu de mémoire, Également lieu de la mémoire, le corps permet un voyage dans le temps, un retour dans le passé plus ou moins lointain, mais dans un désordre propre aux paradoxes qu’il renferme dans ses recoins les plus sombres. À travers l’écriture des idéogrammes, les personnages de l’écran sont animés par diverses pulsions. Les signes, brûlés ou effacés demeurent éphémères, rappelant ainsi le besoin constant d’oubli de la mémoire. Le lien intrinsèque entre le corps et la littérature demeure, pour sa part, inscrit à jamais dans la chair des personnages, soit dans les pages du livre humain de Jérôme, soit dans la peau finalement tatouée de Nagiko.