A propos Fabien GINEFRI

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Épilogue

Voilà, c’est terminé, mon séjour touche à sa fin. Mes valises sont prêtes sur le lit, il ne me reste que quelques moments à passer ici. Après ça, il sera l’heure de prendre le bateau et de quitter l’atoll pour de bon. Les mois ont passés bien vite et en même temps j’ai l’impression d’avoir vécu là toute une vie, comme dans un rêve.

C’est sans aucun doute la dernière fois que je passe quatre mois à dormir sous l’eau, au milieu des poissons. Une occasion comme celle-ci ça n’arrive pas deux fois dans une vie, je suis donc un peu mélancolique à l’idée de quitter cette chambre. J’ai tout de même hâte de retourner en France, de retrouver mes amis, ma famille, la ville, la foule. Être confiné au bout du monde à ses bons côtés, mais cela implique également une grande solitude, qui devient pesante à force. Bientôt ces moments ne seront plus que de lointains souvenirs, souvenirs d’une autre vie, d’une singulière parenthèse au milieu d’îles paradisiaques, des poissons exotiques, d’eaux turquoise et de plages de sable fin.

Sous l’océan

J’ai beau avoir une vue privilégiée sur les fonds marins depuis ma chambre, je passe chaque jour un moment à nager avec palmes et tuba en observant la vie sous-marine. C’est une activité dont je ne me lasse pas. Se déplacer auprès des poissons, des coraux, des tortues et des requins à pointes noires, reste toujours une expérience incroyable. J’apprécie la sérénité et le calme qui règne sous la surface. La mer est chaude, claire et peu agitée dans le lagon. Je peux passer des heures à barboter à la surface, suivre une tortue de mer ou un groupe de petits requins.

Après quelques semaines d’entrainement j’arrive à plonger en apnée plus profondément et plus longtemps que jamais. Au début c’était surtout pour aller observer de plus près les coraux mais avec le temps j’y trouve un autre intérêt. Rester immobile sous les eaux, se laisser transporter par le courant, dans le silence, c’est se retrouver soi-même. C’est une forme de méditation, cela me permet de me vider l’esprit, de ne penser à rien. L’apnée, c’est expérimenter une petite éternité, une paix absolue contenue dans une poignée de minutes. Sous l’eau le temps s’écoule différemment, les secondes n’ont plus d’importance, ce sont les battements de mon cœur qui rythment mon existence.

Pratiquer l’apnée, ici, au beau milieu de l’océan Indien, c’est franchir un pas de plus dans une réalité alternative, c’est aller un niveau plus profond dans ce rêve éveillé. Dans ma chambre d’hôtel, j’ai beau dormir sous la surface, derrière une couche de verre ce n’est pas la même expérience. Immergé, au contact de l’eau, je ressens une sensation de plénitude, une douce béatitude qui est tout simplement introuvable à l’air libre.

Hulhumalé

Avant mon retour sur l’île de Rangali, j’ai décidé de rester fouiner un peu autour de Malé. La capitale est si petite qu’on en fait vite le tour. Je me suis donc rendu sur l’île de Hulhumalé, située juste à côté. C’est si proche que j’ai emprunté un pont pour m’y rendre.

Hulhumalé c’est un peu comme Malé : une petite île entièrement recouverte par une ville. Néanmoins, l’ambiance y est différente, les rues y sont plus larges, les constructions moins hétéroclites, les espaces verts plus grands, on y trouve même des plages. C’est parce que contrairement à sa voisine, cette île n’a pas connu un urbanisme sauvage et un rapide développement incontrôlé. Hulhumalé c’est une île planifiée, artificielle, sortie des eaux en 1997 pour résoudre le problème de surpopulation de la capitale.

Il était quatorze heures quand je me suis approché de la plage, surpris de n’y voir presque personne. Après tout c’est logique, Hulhumalé n’est pas vraiment une destination prisée, habituellement les touristes ne font qu’y passer car c’est sur cette île que se situe l’aéroport. Pourtant cette plage est vraiment magnifique, on aurait presque l’impression d’être sur une île déserte… sans les bruits de la circulation au loin et le bourdonnement des avions de ligne.

Malé

Ces derniers temps, tournant en rond sur mon île du bout du monde, j’ai décidé de changer un peu d’air. J’ai passé quelques jours à Malé, la capitale des Maldives, à une centaine de kilomètres de mon hôtel sous-marin.

Malé c’est une île d’un kilomètre de large pour un et demi de long.  Son point culminant est à deux mètres au-dessus du niveau de la mer et sa population est de cent-vingt mille habitants. Malé c’est un monde dans un mouchoir de poche. Tout y est mélangé, condensé, intriqué. Dans la rue de mon hôtel il y a une mosquée, des réservoirs de pétrole, un terrain de football, un marché aux poissons, un forage d’eau potable, un ministère, une déchetterie, une ambassade, une centrale électrique. Tout ce qui constitue et permet à une capitale moderne d’exister est là, concentré sur ce flocon au milieu de l’océan.

Parcourir les rues de Malé c’est voir les entrailles d’une ville, c’est côtoyer ce qu’on ne voit pas d’habitude, mêlé aux hôtels de luxe et aux restaurants pour touristes.

Yellow Submarine

Cinq mètres sous les vagues se trouve ma chambre à coucher avec son lit « king-size », un salon et une salle de bains, le tout logé dans une structure presque entièrement en verre acrylique offrant une vue panoramique à 180 degrés sur la vie marine de l’océan. L’accès se fait, au choix, par un escalier en colimaçon ou un ascenseur.

L’ensemble de cette suite a été construit à Singapour, comme le restaurant sous-marin Ithaa de l’hôtel. La structure de 600 tonnes a ensuite été acheminée aux Maldives à bord d’un navire spécialisé qui l’a transportée jusqu’au site. Une fois la résidence a été descendue dans l’eau, elle a été clouée sur place à l’aide de pylônes en béton afin de s’assurer qu’elle ne pourrait pas se déplacer lors de fortes vagues ou à marée haute.

En contraste avec l’étage inférieur, le niveau principal est décoré avec une palette lumineuse, comprenant des murs peints en blanc, des sols gris et marbrés et du bois massif.

Il comprend une cuisine ouverte, un salon et une salle à manger. Une longue étendue de portes coulissantes en verre offre des vues sur l’eau et s’ouvre sur une terrasse en bois, où il est possible de sauter directement dans la mer. L’espace extérieur est complété par une piscine à débordement, une douche, une table à manger et un salon extérieur.

Accessible depuis le salon, la chambre principale est reliée à une salle de bains attenante, où l’on peut se prélasser dans une baignoire tout en profitant de la vue sur la mer à travers de grandes surfaces vitrées. Il y a deux autres chambres à coucher et pour finir, une petite salle de sport.

As we live a life of ease
Everyone of us has all we need
Sky of blue and sea of green
In our yellow submarine

Yellow submarine, the beatles, 1966

Finitude

Les îles Rangali : quelques hectares de sable, quelques palmiers. Trois îlots, trois flocons perdus au milieu de l’océan indien. Au large, quelques bandes de sables, vierges, inhabitées. L’eau est turquoise, chaude, peu profonde, calme : les vagues se brisent sur la barrière de corail, loin des plages.

Pour se déplacer dans le complexe, on emprunte des pontons, quelques centaines de mètres séparent les îlots. On fait vite le tour des lieux. Un îlot est dédié aux habitations du personnel et à la logistique, je n’en sais pas plus : personne ne m’a laissé y mettre les pieds jusqu’à présent. L’île principale regroupe la plupart des aménagements : restaurants, bars, spa, piscines. Le dernier îlot est une fine bande de sable qui comporte quelques hébergements. Ma suite, privilégiée parmi les privilégiés, est située à l’écart, accessible depuis son propre ponton. Tous les matins je fais ma petite balade, croisant les employés qui vont d’une île à l’autre, transportant boissons, nourriture, draps et serviettes.

Mes journées passent et se ressemblent, je me languis dans le confort des lieux. Le matin : marche, petit déjeuner, lecture sur la plage, l’après-midi : piscine, spa et, selon les jours, plongée, jet-ski ou virée en bateau. Difficile de se plaindre d’un tel quotidien, mais quand-même, j’aurais bien aimé une île un peu plus grande, avec quelques montagnes ou une forêt. Je commence à faire le tour de ce petit coin de paradis.

Aux confins du paradis

Quelques semaines ont passées depuis mon arrivée sur l’île de Rangali. Les jours passent de plus en plus vite. C’est dingue comme on s’habitue vite au luxe et à l’extraordinaire. Je ne m’émeus même plus de me brosser les dents face aux poissons, de m’endormir au milieu des raies et des tortues, d’observer les coraux depuis ma douche. Le spectacle est toujours aussi magnifique, mais c’est devenu ma routine, mon quotidien, mon horizon.

Le complexe hôtelier qui s’étend sur quelques îlots est un lieu de villégiature très exclusif. Ce n’est pas un lieu fréquenté par des foules de touristes en temps normal, seul une poignée de riches vacanciers peuvent se permettre un séjour ici. Avec la pandémie, de nombreuses chambres, suites et villas restent vides. Les douze restaurants de la résidence, eux, restent ouverts. Parfois je suis l’unique client dans l’un d’entre eux, le temps d’un repas. Je passe de longs moments à observer l’océan, seul, reclus aux confins du paradis.

Rêverie

Allongé dans mon lit, les yeux grands ouverts
Les derniers rayons du soleil percent la surface
Les poissons dansent au-dessus de moi
Le confort, la douceur des draps
Isolé dans ma bulle, le silence est roi
Au bout du ponton, c’est la mer
L’océan qui s’étend à perte de vue
Entre rêve et veille, l’esprit s’égare
S’agrippent dans mes pensées quelques récits de mer
Et sèment le doute dans la nuit
Au fond de ces eaux troubles
Des formes s’agitent et tremblent
Belles comme des lumières sous la pluie

Dépaysement total

Après une escale à Istanbul, la traversée de cinq fuseaux horaires en sens inverse, l’arrivée à l’aéroport international de Malé, un vol jusqu’à l’île de Maamigili, puis une virée en bateau jusqu’à Rangali, voilà mon premier jour aux Maldives terminé : ma première nuit dans cet hôtel commence. Il y a exactement vingt-quatre heures, j’étais encore sur le parking de l’aéroport Paris Charles-de Gaulle.

Une nuit dans cet hôtel vaut à peu près deux années de salaire moyen aux Maldives, ou une année de Smic français. Ma suite personnelle de cent mètres carrés est un située à cinq mètres sous l’océan Indien. Depuis mon lit, je vois des dizaines des poissons nager autour et au-dessus de moi. Dire que je suis décontenancé serait un euphémisme.

Je n’arrive pas à me rendre compte du privilège que c’est d’être ici, là, à cet instant. Je suis épuisé mais bien trop excité pour arriver à fermer l’œil, mon cerveau n’a pas eu le temps d’assimiler tout ce qu’il s’est passé aujourd’hui. C’est tellement surréel.

Je n’aurais peut-être pas du prendre la suite sous-marine dès ma première nuit ici, je sens que je vais avoir du mal à me remettre de cette journée…