Confinés

Mardi 16 Mars

Une semaine entière est passé depuis mon dernier post. Pour tout vous dire la décision est tombée et nous sommes confinés, ici en Suisse. N’ayant pas trouvé de moyens pour rentrer avant la fermeture des frontières nous n’avons pas eu d’autres choix que de rester à Lucerne. Le temps n’a pas vraiment été clément et tout est fermé. 

À l’annonce de ce confinement Alexis et moi, nous sommes sentis coincés et enfermés, bloqués dans cet hôtel. Mais après une semaine entière à vivre ici, je suis reconnaissante de pouvoir expérimenter un tel lieu de manière si particulière. Je me retrouve quelque peu absorbée et impressionnée par la capacité de l’architecte Jean Nouvel à mener un projet qui nous permette autant de déverrouiller nos imaginaires et de nous faire voyager si loin uniquement en travaillant l’espace d’une manière spécifique. Finalement, je peux dire que je vais pouvoir me concentrer sur mon rôle de future architecte : j’ai pris la résolution de m’ouvrir à ce lieu et de vivre l’expérience pleinement en étudiant le moindre aspect de cet hôtel et de vous partager mes recherches et mon travail. 

Collage d’ambiance : sombre, lumière et mise en valeur du plafond illustré. Corner junior Suite

Comme nous serons amenés à changer de chambres autant que possibles pour expérimenter autant que faire se peut les lieux, Alexis et moi avons décidé de nous plonger pleinement dans l’univers de nos chambres en regardant les films qui y sont dévoilées sur les murs et plafonds. Après la découverte du premier film, The Pillow Book, dont je vous ai parlé la semaine dernière, je trouve que le choix de Jean Nouvel de plonger la chambre dans une atmosphère sombre colle totalement avec l’esprit de ce film. De plus, j’ai beaucoup questionné son choix de scène, c’est celle qui selon moi illustre parfaitement le film. Les éléments les plus importants du film comme la féminité, la calligraphie, l’homme, mais également l’érotisme y sont suggérés. 

Vous l’aurez compris, je suis bloquée ici, mais cela m’enchante énormément. Je suis excitée par le voyage qui m’attend dans cet hôtel et j’ai bien l’envie de vous dévoiler les secrets qu’il nous cache. 

5603

Samedi 27 février

facade sur rue – The Hotel – Jean Nouvel

Ça y est, nous y sommes. Tout le long du chemin je n’arrêtais pas de dire à Alexis à quel point il me tardait d’arriver à l’hôtel pour en faire la découverte, c’est chose faite. Le soir tombe, la façade s’allume. Je m’éloigne de cette dernière et grimpe sur le trottoir d’en face. Mes yeux se baladent au gré des fenêtres qui s’allument, qui s’illuminent. Le concept de l’hôtel ne m’est pas étranger et je veux garder encore quelque temps le suspens, mais sachez qu’il est question de mise en scène. Celle-ci commence dès l’extérieur, la façade semble devenir une mosaïque d’ambiances et de couleurs rompant quelque peu la barrière entre extérieur et intérieur. Nous sommes invités, nous qui sommes dehors, à rentrer au sein de cet hôtel sans même avoir à passer la porte.

 Alexis me tire de mon air contemplatif, il attrape ma valise et me guide vers l’entrée. C’est incroyable comme la moindre chose  dans cet objet architectural participe à la création d’ambiance : les larges baies vitrées qui donnent à voir le hall laissent poindre une lumière aux tons chauds contrastant largement avec les tons du haut tube métallique et de sa lumière froide qui rythment la séquence d’entrée. 

Hall d’entrée

L’ambiance est sombre mais très luxueuse cependant. Face à nous, un couloir. Sur notre droite un grand mur illustré et lumineux éclair le comptoir métallique dans lequel se reflètent les imposants fauteuils en cuirs disposés face à lui. Je m’adresse à l’hôtesse d’accueil, en anglais, nous réalisons l’enregistrement et elle me transmet la carte qui permet d’ouvrir notre porte de chambre pour les 3 prochains jours :

la Twin Corner Junior Suite. 

Nous montons au premier étage, et arrivons face à la porte 5603. Je m’empare de la carte magnétique et déverrouille la porte. Je rentre la première et me précipite à l’intérieur de la chambre. Tout y est noir et sombre, seul contrastent les draps blancs des lits ainsi que les touches métalliques et brillantes du mobilier çà et là. Tout est propre et immaculé. Alexis pose les valises dans le vestibule et je m’assois sur le lit. Mon regard court sur le plafond, face à moi l’image d’un dos féminin dénudé sur lequel une main qui me semble masculine, y écrit au pinceau, des caractères Japonais. 

Ce film, du plasticien Peter Greenway, se place comme une sorte de

« poème orientaliste entièrement dédié à l’art de la calligraphie … sur corps humain! ». On y suit le parcours d’une jeune femme qui veut faire de son corps un véritable livre ouvert pour son amant. Le cinéaste manipule habilement image et trame pour nous livrer une oeuvre novatrice et évocatrice ou l’envoutement et l’exotisme règnent en maître. Il réalise, avec ce film, un questionnement et une étude poussée sur le corps, sur son action médiatrice entre les êtres humains, mais également entre les signes et leur transmission.

Le corps, vu comme un lieu de mémoire, Également lieu de la mémoire, le corps permet un voyage dans le temps, un retour dans le passé plus ou moins lointain, mais dans un désordre propre aux paradoxes qu’il renferme dans ses recoins les plus sombres. À travers l’écriture des idéogrammes, les personnages de l’écran sont animés par diverses pulsions. Les signes, brûlés ou effacés demeurent éphémères, rappelant ainsi le besoin constant d’oubli de la mémoire. Le lien intrinsèque entre le corps et la littérature demeure, pour sa part, inscrit à jamais dans la chair des personnages, soit dans les pages du livre humain de Jérôme, soit dans la peau finalement tatouée de Nagiko.




RETOUR A LUCERNE

Vendredi 26 février

Me voilà à la veille du grand départ, je suis très excitée et ne peut me résoudre à dormir. Je me retrouve donc ici, à vous introduire ce qui fera l’objet de ce  blog le temps de quelques posts. Cela fait plusieurs mois que nous planifions ce voyage de découverte approfondie de la ville de Lucerne. Je dis découverte approfondie car, lors d’un voyage scolaire durant ma deuxième année de licence en école d’architecture, j’ai pu m’y rendre le temps d’une journée. J’ai toujours pensé que je devrais y retourner pour voir toutes les autres choses qui se cachent dans les rues de cette cité ainsi que les paysages montagneux qui l’entourent : nous y voilà ! 

Samedi 27 février

Je vérifie une dernière fois que j’ai bien en ma possession tout le nécessaire au bon déroulement de ce périple de quelques jours. J’attrape mon sac à appareil photo ainsi que ma valise,  et donne deux tours de clé dans la serrure de mon petit appartement. Il est 11h30 et je rejoins d’un pas pressé la gare de Nancy où je dois rejoindre Alexis. Le train part avec une dizaine de minutes de retard, il est 12h20, les 4 heures 45 minutes qui vont suivre vont être longues. Après avoir pris les correspondances dans les villes de Strasbourg, Bâle et Otten, il ne reste plus qu’une heure avant notre arrivée à Lucerne. Nous regardons le programme que j’ai établi pour cette semaine et visualisons de nouveau les photos de l’hôtel dans lequel nous allons loger.

Parvis de la Gare de Lucerne

Nous sortons de la gare, le parvis est splendide, il fait beau quoique encore un peu frais en cette période. Nous sommes face à la grande arche qui surplombe cet espace, une statue de bronze trône à son sommet et, en dessous, une horloge prend place entre deux colonnes : 17h20… il n’y a plus beaucoup de temps avant le couvre feu. D’un commun accord nous décidons de partir à la recherche de notre hôtel.  Nous déambulons dans la « FrankenStrasse » et passons devant un petit parc verdoyant.  Les rez-de-chaussée des immeubles alentour abritent des tas de petits restaurants et de bar, les façades sont dans des tons clairs, rythmées par des balcons en encorbellements aux gardes corps en ferronnerie. Au bout de la rue nous tournons une première fois à gauche, puis une seconde. Un bâtiment attire notre attention, il n’a pas le style des autres qui l’entourent. La façade est rythmée par de grandes ouvertures qui laissent imaginer ce qui se trouve dans les différentes pièces. D’ici on peut apercevoir ce qui pourrait être des plafonds colorés, illustrés. L’entrée est marquée par un tube en aluminium intrigant et brillant. C’est alors que nous l’apercevons, à l’angle de la façade … un drapeau rouge flottant et portant l’inscription « the hotel ». 

The hotel